14.01.09 17h26 (En Le Monde)
Par Thierry Lévêque
PARIS (Reuters) - Après 18 ans de procédure, la justice française a relaxé six médecins et pharmaciens poursuivis pour la mort de 117 personnes victimes d'une hormone de croissance contaminée par l'agent responsable de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Contre l'avis du parquet, le tribunal conclut qu'il est impossible de prouver que les prévenus avaient conscience du risque lorsqu'ils ont travaillé à divers titres dans la filière de prescription de l'hormone, de 1980 à 1988.
Ils étaient jugés pour "tromperie aggravée, homicides et blessures involontaires". La lecture du jugement a provoqué les larmes des familles de victimes.
"La justice a tué une nouvelle fois toutes ces victimes, c'est une deuxième mort que l'on vit, (...) Il n'y a pas d'égalité dans la justice", a dit Jeanne Goerrian, présidente de l'association des victimes de l'hormone de croissance.
"La souffrance ne fonde pas le délit pénal", a répondu Me Benoît Chabert, avocats des prévenus relaxés.
Le parquet a la possibilité de faire appel. Les avocats des parties civiles l'ont pressé de le faire. Me Bernard Fau, l'un d'entre eux, a annoncé qu'il demanderait audience à la ministre de la Justice, Rachida Dati, à ce propos.
La responsabilité civile, qui suppose l'existence d'une faute simple et non caractérisée comme au pénal, est retenue par le tribunal à l'encontre de deux prévenus.
Une poignée de victimes percevront donc un total de 480.000 euros. Il s'agit de ceux qui n'ont pas encore été indemnisés par l'Etat, qui a déjà versé 31 millions d'euros.
INSTRUCTION INTERMINABLE
L'hormone, fabriquée à partir d'hypophyses prélevées sur des cadavres et administrée de 1980 à 1988 à 1.698 enfants, soignait des troubles de croissance. La maladie de Creutzfeldt-Jakob est une affection incurable du cerveau.
Après quatre mois de procès, en mai dernier, l'accusation avait réclamé quatre ans de prison avec sursis contre Jean-Claude Job, ex-président de l'association France Hypophyse, et Fernand Dray, 86 ans, ex-responsable d'un laboratoire de l'institut Pasteur qui fabriquait l'hormone.
Jean-Claude Job est mort en octobre dernier à l'âge de 86 ans. L'action judiciaire est éteinte contre lui.
Une peine de deux ans avec sursis était demandée contre Marc Mollet, 84 ans, ex-responsable de la Pharmacie centrale des hôpitaux, distributrice de l'hormone, et une sanction d'un an avec sursis contre Elisabeth Mugnier, 59 ans, médecin impliqué dans la collecte.
La relaxe était requise par le parquet pour Henri Cerceau, 71 ans, autre ex-responsable de la Pharmacie centrale des hôpitaux, Jacques Dangoumau, 73 ans, ancien fonctionnaire du ministère de la Santé, et Micheline Gourmelen, médecin, 72 ans.
L'instruction a montré que les hypophyses - glandes crâniennes - étaient prélevées sur les hypophyses de cadavres, sans contrôle, sans hygiène et sans sélection en France, en Bulgarie et en Hongrie jusqu'en 1988.
Le professeur Luc Montagnier, futur découvreur du virus du sida, avait alerté les animateurs de la filière hormone dès 1980 sur les risques "théoriques", sans cependant recommander la fin des traitements.
Plusieurs autres spécialistes, dont le prix Nobel américain Stanley Prusiner, ont déclaré à l'audience qu'il était impossible de penser à ce risque dans les années 1980.
La maladie de Creutzfeldt-Jakob était rarissime à l'époque des faits. Le tribunal conclut donc qu'il est impossible d'affirmer que les protagonistes de l'affaire avaient conscience du risque, ce qui écarte tout délit d'homicide involontaire.
Le délit de tromperie n'est pas retenu car il n'existait pas selon le tribunal de relation contractuelle entre les patients et l'Institut Pasteur.
Cette procédure ouverte en 1991 a été l'une des plus longues jamais traitées par la justice française.
Edité par Gilles Trequesser
Par Thierry Lévêque
PARIS (Reuters) - Après 18 ans de procédure, la justice française a relaxé six médecins et pharmaciens poursuivis pour la mort de 117 personnes victimes d'une hormone de croissance contaminée par l'agent responsable de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Contre l'avis du parquet, le tribunal conclut qu'il est impossible de prouver que les prévenus avaient conscience du risque lorsqu'ils ont travaillé à divers titres dans la filière de prescription de l'hormone, de 1980 à 1988.
Ils étaient jugés pour "tromperie aggravée, homicides et blessures involontaires". La lecture du jugement a provoqué les larmes des familles de victimes.
"La justice a tué une nouvelle fois toutes ces victimes, c'est une deuxième mort que l'on vit, (...) Il n'y a pas d'égalité dans la justice", a dit Jeanne Goerrian, présidente de l'association des victimes de l'hormone de croissance.
"La souffrance ne fonde pas le délit pénal", a répondu Me Benoît Chabert, avocats des prévenus relaxés.
Le parquet a la possibilité de faire appel. Les avocats des parties civiles l'ont pressé de le faire. Me Bernard Fau, l'un d'entre eux, a annoncé qu'il demanderait audience à la ministre de la Justice, Rachida Dati, à ce propos.
La responsabilité civile, qui suppose l'existence d'une faute simple et non caractérisée comme au pénal, est retenue par le tribunal à l'encontre de deux prévenus.
Une poignée de victimes percevront donc un total de 480.000 euros. Il s'agit de ceux qui n'ont pas encore été indemnisés par l'Etat, qui a déjà versé 31 millions d'euros.
INSTRUCTION INTERMINABLE
L'hormone, fabriquée à partir d'hypophyses prélevées sur des cadavres et administrée de 1980 à 1988 à 1.698 enfants, soignait des troubles de croissance. La maladie de Creutzfeldt-Jakob est une affection incurable du cerveau.
Après quatre mois de procès, en mai dernier, l'accusation avait réclamé quatre ans de prison avec sursis contre Jean-Claude Job, ex-président de l'association France Hypophyse, et Fernand Dray, 86 ans, ex-responsable d'un laboratoire de l'institut Pasteur qui fabriquait l'hormone.
Jean-Claude Job est mort en octobre dernier à l'âge de 86 ans. L'action judiciaire est éteinte contre lui.
Une peine de deux ans avec sursis était demandée contre Marc Mollet, 84 ans, ex-responsable de la Pharmacie centrale des hôpitaux, distributrice de l'hormone, et une sanction d'un an avec sursis contre Elisabeth Mugnier, 59 ans, médecin impliqué dans la collecte.
La relaxe était requise par le parquet pour Henri Cerceau, 71 ans, autre ex-responsable de la Pharmacie centrale des hôpitaux, Jacques Dangoumau, 73 ans, ancien fonctionnaire du ministère de la Santé, et Micheline Gourmelen, médecin, 72 ans.
L'instruction a montré que les hypophyses - glandes crâniennes - étaient prélevées sur les hypophyses de cadavres, sans contrôle, sans hygiène et sans sélection en France, en Bulgarie et en Hongrie jusqu'en 1988.
Le professeur Luc Montagnier, futur découvreur du virus du sida, avait alerté les animateurs de la filière hormone dès 1980 sur les risques "théoriques", sans cependant recommander la fin des traitements.
Plusieurs autres spécialistes, dont le prix Nobel américain Stanley Prusiner, ont déclaré à l'audience qu'il était impossible de penser à ce risque dans les années 1980.
La maladie de Creutzfeldt-Jakob était rarissime à l'époque des faits. Le tribunal conclut donc qu'il est impossible d'affirmer que les protagonistes de l'affaire avaient conscience du risque, ce qui écarte tout délit d'homicide involontaire.
Le délit de tromperie n'est pas retenu car il n'existait pas selon le tribunal de relation contractuelle entre les patients et l'Institut Pasteur.
Cette procédure ouverte en 1991 a été l'une des plus longues jamais traitées par la justice française.
Edité par Gilles Trequesser